Se débarrasser légalement d’un Président de la République : mode d’emploi.

Le pays a été le théâtre ces derniers jours d'évènements politiques qui, à juste titre, ravivent des peurs et des tensions à peines oubliées de la mémoire collective. L'Assemblée Nationale vote pour la déchéance du Président de la République ! Throwback sur ces derniers jours, avec le point de vue juridique qui manque parfois au débat.

Cet article est une republication de l’article original publié sur la version antérieure de Lexxika.com.
Il n’est donc plus d’actualité, mais vous pouvez y trouver des réflexions et des points de Droits qui restent encore valides et pertinents.

 

J’ignore ce qu’il en est des autres, mais je trouve qu’il est désagréable de se lever le matin avec une Assemblée Nationale qui destitue un Président de la République la veille. Alors qu’au matin, on aspire légitimement à un bon café et un mofo gasy en toute tranquillité, voilà que les journaux se mettent à relayer incessamment les palpitantes aventures de nos courageux députés qui se décident à montrer le bon exemple et se mettre au travail avec ardeur, quitte à ne sortir du bureau qu’à minuit. Autant je salue des députés qui, pour reprendre la blague populaire, se mettent enfin à travailler, autant il est difficile de ne pas s’horrifier devant l’accomplissement d’un député qui manque de sommeil.

Donc fort curieux de cette nouvelle choquante qui est reprise dans le monde entier – n’hésitez pas à jeter un coup d’œil sur BBC news ou le Monde – voilà que les malgaches, si discrets de nature, se retrouvent une fois de plus au devant la scène internationale. Merci nos députés !

Nota Bene : Pour la suite de ce billet, en prévision d’utilisations répétées de ces termes, je dénommerais dorénavant l’Assemblée Nationale : « l’AN » – que vous pouvez prononcer « l’âne » si vous le souhaitez – et le Président de la République : le « Prezy ».

 

Que s’est-il donc passé selon les journaux et nouvelles accessibles sur internet ?

Dans la nuit du 26 mai 2015, vers minuit, l’AN a voté à la majorité des deux tiers la destitution du Prezy, à la surprise, je pense, de tout le monde. Une requête, selon les journaux, « de mise en accusation pour déchéance » a été par la suite déposée auprès de la HCC qui devra statuer dans les prochains jours. La situation du Prezy est donc entre les mains de la HCC dans les jours à venir.

Voilà les informations qui ont été diffusées un peu partout dans les nouvelles malgaches et internationales.

N’ayant ni accès aux comptes-rendus de ce vote, ni accès à la requête qui a été déposée auprès de la HCC – comme tout le monde quoi -, je vais donc vous parler du droit applicable en l’espèce ; à savoir : comment destituer un Président de la République de Madagascar en toute légalité.

Tout d’abord, parlons avec justesse : le Prezy selon la Constitution malgache n’est pas « destitué ». Si vous voulez absolument utiliser un verbe, le Président est « empêché », en vertu des articles 50 et 51 de la Constitution disposant de l’empêchement temporaire et de l’empêchement définitif, ou il est « déchu », en vertu des articles 131 et 132 du même texte disposant de la Haute Cour de Justice.

Ce sont, conformément à l’article 52 de la Constitution, 2 des 5 moyens légitimes pour déloger un Président de son fauteuil, et les deux seuls moyens à la disposition du peuple malgache à travers ses représentants. Les trois autres hypothèses sont la démission et l’abandon du pouvoir, apanage du Président lui-même, et le décès, apanage de la Faucheuse.

Clarifions maintenant quelques points dits ou rapportés un peu trop vite par la presse et qui auront pu porter à confusion.

De l’empêchement présidentiel

Le Prezy actuel ne peut pas être empêché. L’empêchement présenté par les articles 50 et 51 de la Constitution est une procédure destinée aux présidents qui seraient devenus, au cours de leur mandat, un candidat de choix pour la maison de retraite, un excellent cas psychiatrique, ou un patient permanent du service réanimation des hôpitaux. L’objectif de la procédure est d’empêcher qu’un Prezy devenu subitement inapte puisse continuer à diriger le pays. L’empêchement doit avoir pour cause l’incapacité physique ou mentale d’assurer ses fonctions((Article 50 de la Constitution)).

La procédure d’empêchement se fait en deux temps :

  • un empêchement temporaire, d’une période maximale de 6 mois, au cours duquel le peuple malgache peut espérer que son bien aimé Prezy se rétablisse vite et revienne diriger le pays. Cet empêchement temporaire est déclaré par la HCC, après que le Parlement, en votant au deux-tiers de ses membres, l’AN d’un coté et le Sénat de l’autre, lui ait dit à l’oreille : « Psss psss, nous pensons tous que le Président est devenu sénile et qu’il faut confier pour le moment le pouvoir au Président du Sénat((Article 50 alinéa 2 de la Constitution)), vous allez l’annoncer au peuple»((Ce psss psss, c’est la saisine)).

Pour cette première phase, la HCC ne « décide » pas, elle ne fait que déclarer((à moins que la HCC, grande gardienne de la constitution, n’en décide autrement et me casse tout mon raisonnement.)).

  • Durant le délai de 6 mois, si le Prezy retrouve ses esprits, les HCC lève l’empêchement temporaire, encore une fois, après saisine du Parlement. Cette fois-ci, la décision de lever ou pas l’empêchement revient à la HCC. Si par contre, le Prezy devait être définitivement enfermé dans un asile psychiatrique, alors la HCC pourrait transformer l’empêchement temporaire en empêchement définitif, encore une fois, sur saisine du Parlement. Dans ce second cas, la décision finale revient également à la HCC.

Ainsi, vous l’aurez compris, qu’il s’agisse d’empêchement temporaire ou d’empêchement définitif, là n’est pas la question.

De la déchéance présidentielle

Reste alors la déchéance du Chef de l’État.

La déchéance du Président de la République, c’est tout simplement la perte du statut de Président de la République. Un peu comme un licenciement en fait. Cependant, le saillant vocable comporte également une idée de perte d’un honneur social qui se traduit, dans la Constitution, par l’inéligibilité à toute fonction publique élective((Article 132 de la Constitution)).

Pourquoi un Président déchoit ?

Bien évidemment, des présidents déchus, ça ne court pas dans les rues. Il n’y a que 4 causes possibles de déchéance prévues dans la Constitution:

  • en cas de haute trahison
  • en cas de violation grave de la Constitution
  • en cas de violations répétées de la Constitution
  • en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat.

La haute trahison : on ne sait pas trop ce que c’est. Il n’y a pas de définition juridique précise, ni dans le droit malgache, ni dans le droit français dont est issu l’article. On peut la rapprocher de la « trahison » du droit pénal qui est, grossièrement, l’attentat à la sûreté de l’État et l’intelligence avec l’ennemi. Toutefois, je ne pense pas que le constitutionnaliste ait pensé au droit pénal lors de son brainstorming, ni que la haute trahison s’y limite. Et comme on ne haut-trahit pas à une fréquence quotidienne, la question se posera pendant longtemps encore.

On peut cependant supposer, à partir de la définition du vocable, qu’il s’agit d’un acte d’une terrible déloyauté envers son pays.

En ce qui concerne le cas d’espèce, ce fondement n’est pas soutenable. Le Président actuel n’a pas effectué d’actes susceptibles d’avoir blessé et gravement nuit au peuple malgache. Mécontenté oui, blessé, non. Certains articles ont rapporté les dires de députés qui crieraient à la « haute trahison », car le président avait apposé sa signature – et ainsi adhéré – aux différentes résolutions de la réconciliation nationale, notamment la dissolution de l’AN. Cependant, je ne vois toujours pas la trahison envers l’État. On peut par contre constater que des messieurs avaient besoin d’utiliser un vocable impres
sionnant à défaut d’être juste pour manifester leurs mécontentements.

La violation grave de la Constitution ou les violations répétées de la Constitution : une déchéance peut être prononcée en cas d’une violation unique, mais suffisamment grave, de la Constitution, ou bien de plusieurs petites violations de la Constitution. Notons que l’article admet tacitement le fait que tous les articles de la Constitution ne se valent pas. La question est : qu’est ce qu’une violation grave et qu’est-ce qu’une violation simple ? Ce sera à l’appréciation des juges. Pour se donner un ordre d’idée, je pense que tenter de toucher à la forme républicaine de l’État malagasy est une violation grave de la Constitution, tandis que se montrer excessivement restrictif sur la liberté d’expression sera considéré comme une violation simple.

C’est sur ce fondement que la juridiction compétente – on y reviendra – aura matière à travailler sur le fond. Les députés avancent, entre autres, l’argumentaire suivant :

  • l’incompétence du président,
  • le manquement au respect de la laïcité de l’État,
  • la non-mise en place de la Haute Cour de Justice,
  • la non-promulgation des lois par le président,

Je n’ai rien à dire, c’est de bonne guerre. En matière de justice, il est normal d’avancer tout argument qui irait dans le sens que l’on souhaite donner au débat, quitte à ce que l’argument((appelé « le moyen » dans un procès)) soit de parfaite mauvaise foi, ridicule, ou irrecevable. C’est au juge de trier le grain de l’ivraie. Mais entre nous, l’incompétence supposée d’un président n’est pas non plus une violation de la Constitution. Ni constitutive de haute trahison non plus.

Le manquement aux devoirs du Président manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat : il s’agit d’une disposition que nos inventifs législateurs ont encore copié sur le droit français. La procédure a été introduite durant la révision constitutionnelle du 23 février 2007 sous Jacques Chirac et tous ses tenants et aboutissants n’ont été finalisés qu’en 2014 avec la promulgation d’une loi organique ad hoc. Je vais être clair, ce fondement est comparable à la haute trahison : ca veut tout et rien dire.

Selon un professeur de droit à l’Université Paul-Cézanne Aix-Marseille III, Didier Maus((http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2014/10/22/comment-un-president-de-la-republique-peut-il-etre-destitue_4510625_4355770.html)), qui a participé à une commission sur le sujet, il peut s’agir :

  • d’un blocage du fonctionnement régulier des pouvoirs publics, soit par exemple, le refus de signer des lois votées par le Parlement, le blocage de la Constitution, etc.
  • ou d’un comportement personnel incompatible avec la dignité de la fonction, soit, un crime, des propos publics inacceptables, etc. Dans le cas d’espèce, le fondement, s’il est pris dans le sens du professeur Didier Maus, est recevable. D’ailleurs lorsque des députés avancent((http://www.madagascar-tribune.com/Hery-Rajaonarimampianina-destitue,21141.html)) les manquements « de non promulgation du président des lois pendant les trois semaines après le vote » ou encore « de la non-mise en place de la Haute cour de justice », les griefs relèvent du manquement manifestement incompatible avec l’exercice du mandat. Toutefois, il s’agit là de l’interprétation française de la notion. Aucun constitutionnaliste malgache ne s’est encore prononcé sur la question. En conséquence, la réponse revient à la HCC encore une fois.

Comment mener un Président à la déchéance ?

Maintenant, une fois que l’AN est convaincue que le Président a accompli des actes répréhensibles, comment faire ?

Et bien il lui faut porter plainte. Cela se traduit, à cette échelle, par « la mise en accusation par l’Assemblée nationale du Président ». Autrement dit, l’AN accuse le Président de…((point point point))

Le Président déchoit par un choix

Bien entendu, l’AN, c’est une personne morale. Ses décisions ne sont donc jamais prises unilatéralement mais par vote, selon une majorité différente selon l’importance de la décision. Pour mettre en accusation le Président, l’AN vote à la majorité des deux-tiers de ses membres((Article 131 de la Constitution)). Sans prendre en compte les considérations de régularité du vote, cette majorité a été atteinte. La mise en accusation est donc recevable sur cette seule considération.

Sauf que la Constitution précise EGALEMENT que la mise en accusation se fait au scrutin public((Article 131 de la Constitution)), à opposer au scrutin secret.

L’objectif des deux procédés est différent. Dans le recours au scrutin secret((comme c’est le cas avec les élections présidentielles)), l’objectif est de préserver l’intégrité du votant en le protégeant au mieux des pressions externes. Le recours au scrutin public, par contre, consiste à exposer publiquement ses choix au peuple, quitte à subir cette pression. Le professeur Honoré Rakotomanana l’a décrit dans ses récentes interventions télévisées((https://www.youtube.com/watch?v=tl4VczCcZH8)), il s’agit pour les députés de dire au peuple malgache : « Venez et regardez-nous accuser le Président ! ».

La déchéance du Président est un acte d’une extrême gravité. Seul le peuple peut destituer l’homme((ou la femme)) qu’il a choisi pour le diriger. Ainsi, la mise en accusation, première étape pour la déchéance du Chef d’Etat, DOIT provenir de la volonté du peuple. C’est lui qui va donner la légitimité à ses représentants pour accuser le Président. C’est ainsi que le scrutin public se présente comme la solution naturelle et obligatoire, car à chaque député qui vote ouvertement pour la mise en accusation du Président, il y a derrière lui des électeurs qui souhaitent ouvertement accuser le Président.

Or, comment nos brillants députés ont voté ? Au scrutin secret ! Je veux bien croire, Messieurs les députés, que les erreurs de procédure arrivent ; mais lorsque vous recourrez à la plus grave compétence dont vous disposez dans votre arsenal, peut-être est-ce mieux de lire préalablement la notice. Ne serait-ce que les premières phrases.

Lorsque les députés portent plainte

Dans tous les cas, l’AN a voté pour la mise en accusation du Prezy. À ce niveau-là, c’est comparable au particulier qui dit : « j’ai décidé de porter plainte ». La question qui se pose est alors de savoir où porter plainte accuser ?

L’article 131 de la Constitution répond : Le Prezy est justiciable devant la Haute Cour de Justice.

A la bonne heure ! La HCJ n’existe pas encore ! C’est le procès de Ravalomanana encore une fois ! Ravalomanana 2 le retour ! Et les chameaux volent !

En fait, avant de se scandaliser et aller plus loin, la question se pose d’abord : la Haute Cour de Justice n’existe-t-elle pas encore, comme le veut la croyance populaire ?

La Constitution veut que la HCJ soit composée de 11 membres dont 2 sénateurs et 2 membres du Haut Conseil pour la Défense de la Démocratie et de l’Etat de Droit. Or, il est de notoriété publique que Madagascar n’a toujours pas de Sénat pour le moment, et que la HCDDED vient à peine d’obtenir((ce février dernier)) sa loi organique – je vous avais dit que la HCDDED allait poser problème ! – . En conséquence, il manque toujours 4 membres pour le moment, m
embres que l’on ne peut ni nommer, ni ignorer, car la loi relative à la HCJ ne prévoit pas de fonctionnement normal et régulier en l’absence de désignation de certains membres((comme en dispose la loi pour la HCDDED par exemple)). J’aurais tendance à dire en conséquence que la HCJ n’existe pas encore à Madagascar.

Heureusement, les constitutionnalistes de 2010 ont prévu le coup depuis le cas Ravalomanana. A la toute fin de la Constitution, dans ses dispositions transitoires, existe un article 167 qui dispose, au cas où la HCJ tarderait à naître, qu’« en ce qui concerne le Président de la République, exceptionnellement, l’instance compétente est la HCC qui serait autorisée à prendre les sanctions qu’aurait pu prendre la HCJ si elle était installée ».

La mise en accusation de l’AN se fait alors devant la HCC qui statue en sa qualité de Haute Cour de Justice exceptionnelle.

To be continued…

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